Afin de mieux apprivoiser l'œuvre d'art, j'utilise d'habitude un truc: je me mets, un peu artificiellement, en état de naïveté, je parle d'elle - et je lui parle aussi, sur le ton le plus quotidien, je bêtifie même un peu. D'abord, je m'approche. Je vous parle des œuvres les plus nobles, - et je m'efforce de me faire plus naïf et plus maladroit que je ne le suis. J'essaie ainsi de me défaire de ma timidité.
"Ce que c'est rigolo... c'est rouge... c'est du rouge... et ça du bleu... et la peinture on dirait de la boue..."
L'œuvre perd un peu de sa solennité. Par le moyen d'une familière reconnaissance je m'approche doucement de son secret... Avec l'œuvre de Giacometti rien à faire. Elle est déjà trop loin. Impossible de feindre une gentille connerie. Sévère elle m'ordonne de rejoindre ce point solitaire d'où elle doit être aperçue.
Jean Genêt, L'atelier d'Alberto Giacometti (extraits).