Tout différent le tableau: immédiat, entier. Puis on va à gauche, à droite, comme on veut, où l’on a envie, selon ses trajets, et les pauses ne sont pas indiquées.
Dès qu’on le désire l’œil le tient à nouveau, entier. Dans un instant, tout est là.
Tout, mais rien n’est encore connu. C’est ici qu’il faut commencer à lire.
Joie peu connue, quoique pour tous. Tous peuvent lire un tableau, ont quelque chose à y trouver (et à des mois de distance, des choses nouvelles), tous, les respectueux, les insolents, les extra et les introvertis, les analystes scientifiques, ceux des mouvements de l’individu, et des au-delà de l’individu, ceux pour qui tout trait est comme un saumon à tirer de l’eau, ceux pour qui tout chien rencontré est chien à mettre sur la table d’opération pour y voir ses émotions dans son estomac ouvert, ceux qui préfèrent jouer avec le chien de rencontre, pour se reconnaître aussi, sans doute en le connaissant, ceux qui dans autrui ne font jamais ripaille que d’eux-mêmes, ceux qui voient surtout la grande marée qui porte également le tableau au peintre et le peintre lui- même, et le lecteur et la foule de leur entourage et de leurs prédécesseurs et la foule des événements unis, enfin et surtout ceux qu’on appelle propres à rien, les incoordonnés, ceux qui dans tout paysage ont leurs ailes de moulin à faire tourner. (On les voit tourner en pleine lumière dans des paysages étrangers.)
Puissé-je pousser quelques-uns, lecteurs qui s’ignorent, à lire à leur tour.
Et que Monsieur Zao Wou-Ki m’excuse.
On m’apporta ses lithographies. Je ne connaissais ni lui-même, ni ses peintures. J’écrivis le lendemain les pages qui suivent, à quelques lignes près. Il méritait un plus « sérieux » lecteur.
Henri Michaux, Jeux d'encre - Trajets Zao Wou-Ki
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