Dupin (Jacques) : La ligne de rupture

Il s'en faut d'un effondrement, d'une dérive souveraine
la surface du jeu, l'alternance et l'altération
c'est la peau du dehors qui se retourne et nous absorbe
analphabètes pour les feuilles, détachés de tout arriéré scintillant
qu'on expulse de soi avec la tourbe, les viscères
et les choses attisées, la nuit, et les hardes de couleurs
la loupe asphyxie son maître, la fenêtre donne sur le talion

Le sang sur le mur pour ne pas le voir
attenante aux travaux des confins l'hilarité comme sa pelle raclait le fond
cassait le sens après l'incorporation de la marche à l'étendue œufs couvés 
par le sable et la peur comme si le désert intermittent l'aveuglait
au couperet de toute balance les éclats du linge et le sang contradictoire

Acquiesçant pour disparaître, ou revenir, défalqué de la somme
d'une seule coulée froide quand les parois se sont concertées
le corps traversé mûrit, le corps appliqué s'élève
comme si jouait la solidarité du crime
nous ne nous trompons pas écrivant, n'écrivant que
les otages jumeaux dont l'intervalle est un masque
le dur axiome du levain, ce que le soc soulève de futur

Détruire l'écriture de cet espace oppressif et se perdre en l'écrivant
pour l'indivision dans le feu contre la léthargie des sources la carrière
les miettes du festin sont debout sur la nappe irréprochable
mimant ce qui rend exemplaire son exécration, le je plural et harcelant, décimé
il se mêle à l'eau limoneuse des parcelles incorruptibles
dans la chambre contigüe son sacrifice ou son sommeil, et le reflux
les blocs appareillés à leur suite, et soustraits à l'interprétation

Débarcadère de chaque chose et son hermétique fraîcheur
le tout-puissant affleurement dont tu assures la mobilité
l'aven comblé nous glissons jusqu'aux bords qui n'existent pas
une clarté vipérine une chaleur inachevée
nous sommes seuls, et nombreux, là, attestant une faiblesse de la langue
l'étalement de la question comme un champ de fleurs
nous errons dans le froid de plusieurs soleils

La traversée qui nous scande, la trajectoire qui nous mesure
glène, au fond de son enroulement, ce qui dormait, et brûle
depuis que les portes s'ouvrent à ce tremblement de l'air
exultant de n'être pas l'horizon fossilisé d'un livre
nous, la mesure de la traversée, la scansion de la trajectoire
notre discordance convoite une illisibililé clignotante
alentour il y a le feu qui fait rage et les choses dessinées

Précipitée du dehors, étant du dehors la force, ou la loi, fourvoyée
de la masse enchevêtrée des lignes le brusque arrachement qui nous apaise
dérapage lassitude sur l'anneau consumé nous rapprochant de la courbe déclive
même enlevé sur une hanche de déesse, même en configurations purifiées
dans l'espace retourné comme une glace vide véridique
un éparpillement de l'autre à l'infini jusqu'à l'adéquation du nombre au non-sens
et le vent qui renâcle et s'épuise dans l'élargissement de la nuit

Surgir de l'effacement d'une trace illégitime
nos corps échangés se taisent, grandir est indifférent
l'orage fraye un chemin parmi les violettes atroces
allégresse, crève-cœur, du recommencement
de la limite fractionnée que la perte de la vue transgresse
dans la vigne où nous commencions d'être ensemble
les yeux plissés devant une couture sans couleur

L'exclamation qui courbe la vitre favorise un dernier éclat
la vitre et le vide afin que leur proie se dessine
joueur à la lisière du soupçon pour accueillir toutes les versions du geste
et affilié à ce qui n'est encore que lambeaux d'une gomme anxieuse
éclairs de chaleur entropie figure au timbre de plus en plus las
le rocher qui obstrue le sens n'est qu'un nuage désœuvré qu'on traverse
les blés mûrissent en une nuit, le surcroît de la douleur

Jusqu'aux ongles jusqu'à leur niaise férocité
en deçà les courbes grandissent les lignes s'oblitèrent
dans la logique du récit la pierre désirable roule au torrent inintelligible
inscrite en faux dans le contexte harassé qui la broie
notre troupe aux termes d'un vieux pacte évaporé
simplement la terreur d'écrire malgré l'inflexion du soir
le signe, qui nous force à l'écouter hors de toute saisie

L’air ou l'ouvrage persistant, de ses mains taciturnes, de ses mains torrentielles
il n'y a qu'une barrière à renverser pour que le proverbe s'érige
sculpté par la foule, transpirant le vide qui la désaltère
le brin d'herbe ne dit rien de plus aux dents agacées que ce plus
qui suspend les hostilités pour jouir
du seul affleurement qui fonde — le futur, la monstruosité
tellement tendue que j'éclate

Sa naissance était de mots très simples et de coups de feu isolés
sommes-nous la part éloignée de son dénuement le givre furieux le sommeil
une peau si fine sur le monde qu'elle tient en échec le feu
s'inscrivant comme un don du soleil au cratère de sa blessure
la lame - encore qu'il n’y ait rien que l'obscurcissement du soleil
mais j'aime le goût de la terre en dessous et plus bas la voix féminine
réfractant la tendresse des hautes parois incohérentes, leur verte fragilité

Nous marchons avec discernement la bouche ensanglantée
c'est le flou de l'auvent qui déjà nous blesse, le feu qui nous chasse
si haute est la nuit que nous sommes dans l'ignorance
l'émerveillement comme à la frontière d'un territoire excessif
après l'incorporation de la marche à l'étendue
d'un feu désaltérant de souches la cendre est blanche à nos pieds
à peine la clarté que laisse la mer en se retirant

Jacques Dupin, La ligne de rupture. Une copie manuscrite fut dédicacée à Joan Mitchell le 17 août 1971

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